LES BANSHEES D’INISHERIN
Martin McDonagh, 2022
LE COMMENTAIRE
Tou·tes les deux, seul·es sur une île. Si le mariage ne s’entretient pas, il se délite pour finir dans les orties (cf Marriage Story). L’amitié suit les mêmes principes. Si on ne se dit pas les choses, on risque de finir dans les choux.
LE PITCH
Deux amis de toujours s’embrouillent, sur fond de guerre civile irlandaise.
LE RÉSUMÉ
Sur la petite île d’Isherin, au large de l’Irlande, Pádraic (Colin Farrell) s’en va retrouver son pote Colm (Brendan Gleeson) – comme tous les jours. Sauf qu’aujourd’hui Colm ne veut pas lui parler. Sans raison. Bizarre. Pádraic ne comprend pas.
On s’est brouillés ? (…) J’ai du mal à suivre.
Il demande à sa soeur Siobhán (Kerry Condon) ce qu’elle en pense. Elle émet une hypothèse.
Peut-être qu’il ne t’aime plus ?
Colm ne veut effectivement plus parler à Pádraic du tout.
Tu m’as rien dit et tu m’as rien fait, mais je ne te supporte plus.
Dur à encaisser. Tout le village s’interroge. Au pub, on observe et on se pose des questions.
Qu’est ce qui lui arrive ??
Pádraic insiste. Colm lui explique alors que leur amitié ne lui apporte rien. Il en a marre de ces conversations qui tournent en rond.
J’ai le sentiment que le temps me file entre les doigts. Dans douze ans, je mourrai sans rien laisser.
Plutôt que de parler à Pádraic, Colm préfère se consacrer à son violon. En espérant qu’un jour, on se souviendra peut-être de lui pour sa musique.
Pádraic ne lâche pas l’affaire. Pour avoir la paix, Colm pose un ultimatum. À chaque fois que Pádraic lui adressera la parole : il se coupera un doigt.
Il préfère se mutiler que de te parler.
Pádraic essaie de respecter la volonté de son ami mais comme il n’arrive pas à comprendre, et qu’il n’a rien d’autre à faire, il s’obstine. Un beau jour il entend un bruit derrière sa porte. Colm vient de lui jeter l’un de ses doigts qu’il vient de se couper.
Pádraic est sous le choc. Trouvant la démarche de son ami toujours aussi incompréhensible qu’injuste, il se venge en trouvant un moyen de faire partir les musiciens qui accompagnent Colm. En représailles, celui-ci se coupe quatre autres doigts.
La vieille Mrs McCormick (Sheila Flitton) se régale.
Siobhán, épuisée par ces bêtises, décide de partir.
Il y a assez de gens qui jugent sur cette ile! (…) Vous êtes tous barbants!
L’ânesse de Pádraic s’empoisonne en mangeant les quatre doigts de Colm. Elle était devenue l’unique compagnie de Pádraic.
Je suis désolé pour ton ânesse. Vraiment.
Je m’en fous.
Cette fois-ci, c’est la guerre.
Pádraic met le feu à la maison de Colm. Celui-ci s’échappe, pensant qu’ils sont quittes. Pádraic n’est pas de cet avis. À la vie, à la mort.
Y’a des choses qui sont jamais finies…
L’EXPLICATION
Les Banshees d’Inisherin, c’est la folie de l’ennui.
Comme l’écrivaient les situationnistes, nous ne voulons pas d’un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui. On craint l’ennui comme la peste. C’est pourquoi occupe le vide avec les moyens du bord (cf The French Dispatch). En travaillant jusqu’à plus soif, puis en allant finir de se saouler au pub avec ses amis. On n’occupe certainement pas le vide en contemplant le temps comme des moines bouddhistes, ni en faisant de la méditation comme des yogis (cf Bikram). Sautant sur la moindre anecdote pour la répéter, la déformer et l’amplifier – sinon aucun intérêt.
C’est une île, tout finit par se savoir.
Pádraic et Colm sont deux hommes qui n’ont pas plus à se dire que d’habitude. Sauf que ce jour là, l’un d’entre eux en a marre. Il est guetté par l’ennui et ne peut plus se satisfaire du petit train-train de son quotidien. Colm reproche à son ami d’être la cause de son spleen.
Il est creux.
Il a toujours été creux! Qu’est ce qui a changé ?
J’ai changé.
Colm s’ennuie depuis qu’il a pris conscience du temps qui lui reste et à ce titre il estime qu’il n’a plus besoin de Pádraic dans sa vie. Pire, il ne s’en trouverait pas plus mal si l’autre ne faisait plus partie de son paysage.
Il veut plus être mon ami!
Une décision radicale qui provoque forcément une réaction en chaîne menant à une forme de guerre civile entre ces deux amis. Pádraic s’estime agressé et ne peut pas en comprendre la raison. En face, Colm s’ennuie tellement qu’il est prêt à aller jusqu’à se faire mal pour avoir la paix.
Ne me parle plus jamais, je t’en supplie.
L’ennui va faire basculer le fragile équilibre qui règne sur Inisherin.
Car la décision de Colm sort Pádraic de son apathie pour le plonger de force dans un autre monde, celui de la solitude. Il n’avait rien demandé. La position de Colm a le mérite de déclencher une réflexion chez Pádraic sur la gentillesse, et ce qui fait qu’on se souvient des hommes (cf Gatsby le Magnifique).
T’étais gentil. Maintenant, t’es pas gentil.
Faut croire que la gentillesse ne dure pas…. (…) Qui d’autre s’en souviendra? Personne.
Pour autant, le soufflet philosophique retombe bien vite sans donner de réponse. Et comme ces deux imbéciles campent sur leurs positions en refusant de faire le moindre compromis, c’est l’escalade de la violence – avec des victimes collatérales comme l’ânesse de Pádraic (cf Collateral).
Ça va trop loin.
Cette situation provoque également le départ de la soeur de Pádraic, ce qui l’isole définitivement dans son impasse et va radicaliser sa position.
Tu reviendras vite pas vrai ?
Il n’y a rien à espérer sur Inisherin.
Ma vie est à Inisherin. (…) Tu me manques. J’espère qu’on se reverra un jour.
Le drame est que la décision de Colm ne lui apporte même pas la paix escomptée. Il ne parvient pas à échapper à ses idées noires.
Et le désespoir?
Pas de Dieu pour nous sortir de cette angoisse. Du fin fond de son église, le curé n’a aucune proposition.
Tu crois que Dieu se soucie d’une ânesse…?
Non. Je crains que ce soit là le problème.
Les hommes sont véritablement livrés à eux-mêmes face à l’ennui.
On est deux dans l’histoire.
Ils ne trouvent plus comme ultime raison de vivre que le suicide ou le meurtre.
Je te croyais le plus gentil de tous, finalement tu es comme les autres.
Finalement, on se fait la guerre quand on n’a rien d’autre à faire.
Tou·tes logé·es à la même enseigne sur notre île du temps qui passe.
